Les premiers effets de l’IA générative sur l’emploi se font déjà sentir. Si les licenciements massifs ne sont pas encore d’actualité, une tendance se dessine : une diminution des embauches et des offres d’emploi dans les secteurs et pour les postes susceptibles d’être automatisés par cette technologie.

L’IA générative : une nouvelle forme d’externalisation ?

L’IA générative peut, à première vue, être assimilée à une nouvelle forme d’externalisation. En effet, tout comme les tâches étaient délocalisées vers des pays à bas coût dans le cadre de l’offshoring et du nearshoring, l’IA générative les « délocalise » vers la machine.

Cependant, il est important de noter que l’impact de l’IA générative sur l’emploi ne se résume pas à une simple substitution. On observe plutôt un double mouvement :

D’une part, l’IA générative s’attaquera aux tâches peu complexes, ce qui peut être considéré comme une « sous-traitance par la GenAI ». Cela entraînera une disparition progressive des emplois basés sur ces tâches répétitives.

D’autre part, les emplois qui subsisteront après cette externalisation nécessiteront des niveaux de formation et de compétences plus élevés. L’accent sera mis sur la créativité, la pensée critique, la résolution de problèmes complexes et la capacité à s’adapter à un environnement en constante évolution.

Prenons l’exemple de la création de plans stratégiques. L’IA générative peut s’inspirer de cas existants et proposer des plans efficaces, mais les entreprises auront toujours besoin de personnes capables de penser de manière créative et de proposer des approches nouvelles et innovantes. L’IA ne remplace donc pas l’intelligence humaine, mais elle la complète et la stimule.

Une transformation en profondeur du marché du travail

Une étude américaine du Burning Glass Institute et de la Society for Human Resource Management, souligne que l’IA générative affectera un large éventail d’emplois, y compris dans les domaines administratifs, financiers, juridiques, informatiques, mathématiques et même créatifs.

Matthieu Hug, président et fondateur de l’éditeur français Tilkal, résume cet état de fait en évoquant « l’ubérisation des bullshit jobs ».

« Une partie des travailleurs du savoir font un travail formaté, essentiellement de synthèse. Tout ce que ChatGPT fait plus vite et pour moins cher », constate Matthieu Hug, soulignant une ironie de l’Histoire. Alors que ce sont les emplois peu qualifiés et manuels (en particulier industriels) qui ont été touchés par la mondialisation et la délocalisation, ce sont aujourd’hui les postes de ceux qui ont promu cette « rationalisation » qui sont menacés.

Le fondateur d’OpenAI, Sam Altman, souligne lui aussi la disruption assez inattendue de l’IA (au sens large) sur les emplois les plus qualifiés.

Le consensus était que l’on verrait d’abord un impact de l’IA (avec l’automatisation et la robotique) sur les emplois ouvriers et peu qualifiés ; puis sur les employés de bureau et les cols blancs. Quant aux créatifs, on se disait que cela n’arriverait jamais, ou en tout cas bien après les autres. À l’évidence, ce n’est pas ce qui se passe

Sam Altman

Le bouleversement annoncé des compétences et des métiers, qui commencerait déjà à se concrétiser, suscite des craintes chez les salariés. En juin 2023, d’après une étude du BCG auprès de 13.000 répondants, 41 % des salariés français se disaient préoccupés par les conséquences de l’IA générative sur leur emploi (contre 30 % au niveau mondial). Dans le monde, seuls les Hollandais sont plus préoccupés par cette question (42%).

L’IA générative : destruction et création d’emplois

L’impact de l’IA générative sur le marché du travail est un sujet brûlant. Si elle promet d’améliorer la productivité et d’ouvrir de nouvelles opportunités, elle soulève également la crainte de destructions d’emplois. Gad Levanon, économiste en chef du Burning Glass Institute, apporte un éclairage nuancé sur cette question.

Destruction d’emplois

L’IA générative peut effectivement remplacer les travailleurs dans certaines tâches répétitives. Prenons l’exemple des développeurs : si l’IA les rend 50 % plus productifs, une entreprise pourrait avoir besoin de moins de personnel, même si la demande en logiciels augmente. Levanon évoque un « excédent de capacité » dans ce cas précis.

Création d’emplois

Cependant, l’IA générative ne se résume pas à une simple machine à remplacer les humains. Elle va également créer de nouveaux besoins, notamment dans le domaine de la personnalisation des LLM et de la sécurité des données. Le développement de ces technologies nécessitera de nouvelles compétences et donc de nouveaux emplois.

Un solde net difficile à prédire

Le défi est de déterminer le solde net entre les destructions et les créations d’emplois. Levanon se montre prudent : il est difficile de le prévoir avec précision.

Le bouleversement ne se produira pas du jour au lendemain. Il s’agit plutôt une évolution progressive, marquée par une diminution des embauches pour les postes les plus exposés à l’IA.

Certaines tendances observées sur le marché du travail semblent confirmer les prédictions de Levanon. Aux États-Unis, les offres d’emploi pour les professions les plus exposées à l’IA ont connu une baisse plus importante en 2023 que les autres.

L’IA impose la formation

Un rapport du Carson College révèle que plus de la moitié des 1 200 professionnels interrogés utilisent déjà l’IA dans leur travail, notamment pour l’analyse de données et la génération de contenu. Cependant, une crainte commune émerge : celle de se retrouver dépassé si l’on ne s’approprie pas mieux cette technologie.

Face à ces mutations, l’upskilling (formation continue pour progresser dans son poste), le reskilling (formation pour changer d’emploi) et les micro-formations (pour s’adapter en permanence aux évolutions et aux potentialités technologiques) deviennent des incontournables. Ces formations doivent concerner aussi bien les diplômés que les non-diplômés.

Le Boston Consulting Group (BCG) met en lumière l’impact de la maîtrise de l’IA sur la confiance des travailleurs. Son étude distingue deux groupes distincts : les utilisateurs de l’IA, souvent à des postes élevés et optimistes (62 %), et les non-utilisateurs, pessimistes à 64 %.

Or, le BCG déplore que les entreprises aient eu tendance à concentrer la formation à l’IA sur les dirigeants. D’après l’étude, un facteur de succès réside au contraire dans la démocratisation de l’IA et la création d’un climat de confiance à tous les niveaux de l’organisation. Un enjeu crucial dans un contexte où 36 % des répondants craignent que l’IA ne « élimine » leur emploi.

Tous les experts s’accordent à dire que la formation, l’apprentissage et la gestion des compétences seront des éléments clés pour les employeurs qui souhaitent conserver ou recruter les talents nécessaires à la transformation digitale à grande échelle.