Les data centers se multiplient partout en Europe. Avec l’essor du cloud, des usages numériques et de l’intelligence artificielle, ces centres de données deviennent essentiels pour faire tourner nos services en ligne. D’après Euronews, les projets ont bondi de 168 % en un an, surtout autour des grandes métropoles comme Londres, Francfort ou Paris. Chaque pays veut attirer ces géants du numérique, à la fois pour des raisons économiques, fiscales et de souveraineté.

Mais derrière cette course à l’infrastructure se cache une autre réalité : leur consommation d’énergie et d’eau devient un vrai sujet de débat. La Commission européenne estime que les data centers représentent près de 3 % de l’électricité consommée dans l’Union. En Irlande, on grimpe même à 21 %. À Madrid ou Marseille, des projets récents inquiètent à cause de leur forte demande en eau, alors que certaines régions font déjà face à des sécheresses régulières.

Des efforts pour limiter leur empreinte

L’Europe ne reste pas les bras croisés. Une directive sur l’efficacité énergétique impose plus de transparence sur la consommation des data centers, avec un objectif clair : réduire la consommation globale de 11,7 % d’ici 2030.

Dans les faits, certaines initiatives tentent de faire mieux : récupération de chaleur pour chauffer des logements, refroidissement passif, optimisation des logiciels… À Saint-Denis, par exemple, un centre de données alimente un réseau de chauffage urbain.

Derrière ces enjeux techniques, il y a aussi une volonté d’analyser en profondeur la place des data centers dans nos villes. Deux chercheurs s’y intéressent de près : Cécile Diguet, urbaniste, et Clément Marquet, sociologue. Tous deux étudient l’impact spatial, énergétique et social de ces infrastructures.

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Le cloud est-il vraiment “immatériel” ? Spoiler : non

Le mot “cloud” donne souvent l’impression que tout est virtuel, léger, presque magique. C’est faux.

Derrière le nuage, il y a des bâtiments bien réels, pleins de serveurs qui tournent jour et nuit. Rien qu’en France, les data centers consomment environ 10 TWh d’électricité par an. Et selon le gestionnaire RTE, cette consommation pourrait grimper jusqu’à 28 TWh d’ici 2035, voire 80 TWh si tous les projets annoncés se concrétisent.

Cécile Diguet le rappelle : ces infrastructures sont très gourmandes en énergie, notamment à cause du refroidissement des serveurs. Et ce que l’on appelle “dématérialisation” masque en réalité toute une chaîne matérielle bien réelle.

Clément Marquet va dans le même sens : « Il n’y a rien d’immatériel dans le cloud. Chaque donnée passe par des câbles, des antennes, des machines. » Et il ajoute que la fabrication des composants, comme les puces électroniques, nécessite l’extraction de minerais, souvent au prix d’importants dégâts environnementaux. L’eau utilisée pour graver les circuits, les déchets électroniques… tout cela alourdit le bilan écologique du numérique.

Qui consomme le plus d’énergie : les data centers ou les terminaux ?

On pourrait croire que les data centers sont les principaux consommateurs d’énergie. Ce n’est pas si simple. En réalité, ce sont les terminaux – smartphones, ordinateurs, téléviseurs, objets connectés – qui pèsent le plus, avec plus de 50 % de la consommation énergétique du numérique à l’échelle mondiale. Les réseaux arrivent ensuite, et enfin les data centers, qui représenteraient environ 15 %.

Mais cette part pourrait vite grimper. L’essor de l’IA, du streaming et du cloud intensifie fortement la demande énergétique des data centers. En 2022, ils consommaient entre 240 et 340 TWh dans le monde, soit jusqu’à 1,3 % de la demande globale d’électricité.

Pour Clément Marquet, il faut aussi regarder cette consommation se produit. Les data centers concentrent leur consommation sur des sites uniques, ce qui peut créer des tensions sur les réseaux locaux, alors que les terminaux consomment chacun un peu, mais partout.

L’argument écologique derrière le choix des implantations ? Pas vraiment

On entend souvent que les data centers s’installent là où l’énergie est “propre” ou où le climat permet un refroidissement naturel. En réalité, ce ne sont pas les critères principaux. Ce qui compte d’abord, ce sont les avantages économiques : fiscalité, coût de l’électricité, disponibilité du foncier, stabilité politique…

Des régions comme la Virginie du Nord, Dublin ou Amsterdam sont devenues des hubs grâce à une fiscalité très favorable. En France aussi, certaines aides existent, comme des réductions sur la TICFE, une taxe sur l’électricité. Pour les communes, ces centres sont intéressants car ils rapportent de la taxe foncière. Pour les intercommunalités, les bénéfices sont plus limités.

Mais cette course à l’attractivité a ses limites. À Dublin, par exemple, la concentration des centres a tellement saturé les réseaux qu’un moratoire a été imposé en 2021. Aux Pays-Bas, certains projets ont été gelés à cause de leur impact environnemental jugé trop important.

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Les data centers : des infrastructures devenues stratégiques

Aujourd’hui, les data centers hébergent des services critiques : santé, armée, justice, finances… Leur rôle est devenu si important que certains sont classés comme “opérateurs d’importance vitale”. En clair, ils doivent être protégés en cas de crise, car ils hébergent des données sensibles.

Selon Cécile Diguet, l’État joue un rôle clé pour sécuriser les données stratégiques, parfois en construisant ses propres centres. Clément Marquet souligne que dans la bataille mondiale autour de l’IA, certains pays, comme le Royaume-Uni, ont déjà reconnu les data centers comme des “infrastructures d’intérêt national”. En France, une loi en discussion pourrait suivre cette voie. Cela changerait beaucoup de choses en matière de procédures locales ou de régulation environnementale.

Les data centers en Europe : plus verts que les autres ?

L’Europe peut-elle vraiment se vanter d’avoir des data centers plus écologiques que le reste du monde ? C’est tentant, surtout grâce à son mix énergétique (nucléaire en France, hydraulique en Scandinavie). Mais ce n’est pas si simple. L’empreinte carbone dépend aussi de l’efficacité des équipements, de leur usage, ou encore de la façon dont ils sont refroidis.

Bref, dire que les data centers européens sont “verts” est un raccourci. Il y a des efforts, des initiatives intéressantes, mais aussi des défis majeurs à relever.

Les data centers sont indispensables à notre vie numérique. Mais leur impact environnemental est bien réel. Derrière les discours sur la dématérialisation, se cachent des infrastructures énergivores, complexes à intégrer dans les territoires.

Faut-il choisir entre numérique et écologie ? Pas forcément. Mais il faut poser les bonnes questions, exiger de la transparence, et chercher des solutions concrètes pour limiter leur empreinte. Car si le cloud fait tourner nos applis, il ne flotte pas dans les airs… il repose sur des tonnes d’acier, de câbles, et de serveurs bien physiques.

Source : polytechnique-insights.com