Les sites web resteront, mais leur rôle sera réduit, car les agents IA deviendront l’intermédiaire privilégié entre nous et l’information.
Les chiffres le prouvent : en 2024, le marché mondial des agents IA représentait déjà 5,4 milliards de dollars. D’ici 2030, il pourrait dépasser 50 milliards, avec une croissance annuelle proche de 46 %.
Leur adoption explose partout dans le monde, et ce mouvement ne fait que commencer.
D’Internet des années 90 aux agents IA : un retour aux jardins fermés
Dans les années 90, Internet n’avait rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. On découvrait le web à travers des portails fermés comme Wanadoo ou Club Internet, avec des annuaires et des mots-clés pour accéder à des services, des forums ou des pages d’actualité. Le web ouvert existait déjà, mais pour beaucoup d’utilisateurs, Internet se résumait à ces portails.
Peu à peu, ce modèle a laissé place au web ouvert. Les noms de domaine sont devenus des repères essentiels. Posséder un .fr ou un .com inspirait confiance. Les sites web sont devenus des vitrines digitales où les entreprises construisaient leur crédibilité et leur relation avec les clients. Le référencement a renforcé cette logique : un bon domaine améliorait la visibilité, et l’« autorité de domaine » aidait à classer les sites les plus fiables. Pendant près de 30 ans, les sites web ont été au centre de la découverte et des transactions en ligne.
Aujourd’hui, le mouvement semble repartir… mais sous une autre forme. Il ne s’agit plus de taper un mot-clé dans un annuaire, mais d’exprimer une intention en langage naturel : réserver un train, commander un repas ou trouver un médecin. Et les nouveaux gardiens de l’accès ne sont plus les portails d’hier, mais les agents IA et les grands modèles de langage.
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De la navigation à la réponse directe
Avec les agents IA, le parcours classique disparaît. Autrefois, découvrir une information passait par une recherche, une liste de résultats, un clic sur un domaine, puis une navigation sur le site. Désormais, il suffit d’exprimer son besoin et le système se charge du reste. Plus besoin d’ouvrir Expedia ou le site d’une compagnie aérienne si votre agent vous confirme un vol. Plus besoin d’aller sur OpenTable si une réservation est déjà faite pour le dîner du lendemain. Plus besoin de chercher dans le catalogue de Adidas si une paire de chaussures arrive directement chez vous.
Dans ce nouveau fonctionnement, la couche de réponse remplace le clic, la couche d’exécution remplace la navigation, et la source d’origine devient invisible. Pour l’utilisateur, peu importe quel site a fourni l’information ou traité la transaction, tant que le résultat est correct.
L’exemple concret de WeChat
En Chine, ce basculement est déjà bien avancé. WeChat a lancé en 2017 les Mini-Programs, des « applis dans l’appli » qui permettent de tout faire sans quitter l’écosystème. En 2024, ils étaient devenus incontournables, avec entre 3,9 et 4,3 millions de Mini-Programs actifs et plus de 900 millions d’utilisateurs mensuels. Ces Mini-Programs ne sont pas de l’IA au sens strict, mais leur logique est identique : simplifier et exécuter les tâches.
Dans la restauration et l’hôtellerie, plus de 80% des grandes chaînes permettent déjà de commander ou de réserver directement via ces Mini-Programs, sans passer par un site web. Les marques internationales les utilisent même comme vitrine en Chine, plutôt que de créer un site localisé. WeChat gère tout : découverte, catalogue produit, paiement et service client.
Pour de nombreuses entreprises locales, le site web n’est plus qu’une coquille minimale, l’expérience réelle se vivant entièrement à l’intérieur de WeChat. Et il faut garder une chose en tête : WeChat compte plus d’un milliard d’utilisateurs actifs chaque mois. ChatGPT en rassemble déjà plus de 800 millions chaque semaine, soit environ 3 fois plus sur une base mensuelle.
Avec l’essor des agents IA, la relation directe entre marques et consommateurs pourrait connaître une transformation massive.
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Les grandes plateformes suivent déjà ce mouvement
Instagram propose son service Checkout qui permet d’acheter directement depuis l’application, sans jamais visiter le site du commerçant. TikTok s’y met aussi avec des parcours similaires, notamment grâce à son partenariat avec Shopify qui rend possible l’achat sans quitter TikTok. Même Uber est aujourd’hui utilisé comme une simple API intégrée dans d’autres écosystèmes : on peut réserver une course depuis une autre appli sans ouvrir Uber.
Dans tous ces cas, le site web existe encore, mais l’utilisateur ne le voit pas. La découverte, l’évaluation et l’achat se font directement à l’intérieur d’un environnement fermé.
Le déclin du web ouvert
Plusieurs éditeurs observent une baisse sensible de leur trafic en provenance des moteurs de recherche, parfois de l’ordre de 10% sur de courtes périodes. Sur certains sites, la diminution du taux de clics atteint plus de 50% sur ordinateur et près de 50% sur mobile dès qu’un résumé automatique s’affiche. Les revenus publicitaires suivent naturellement cette tendance.
À l’échelle mondiale, la part des budgets publicitaires alloués aux contenus issus de médias professionnels devrait passer sous la barre des 51% en 2025, alors qu’elle dépassait largement les 70% il y a encore quelques années. De leur côté, les publicités display sur le web ouvert représentent aujourd’hui une part bien plus réduite qu’auparavant dans les grandes plateformes publicitaires.
Le constat est net : les internautes cliquent moins, les éditeurs gagnent moins, et les annonceurs réorientent leurs investissements. Le web ouvert n’est plus le centre de gravité qu’il a longtemps été.
Si les sites perdent leur rôle central, que restera-t-il ?
Les entreprises auront toujours besoin d’infrastructures techniques, mais la « porte d’entrée » va changer. Au lieu de pages d’accueil soignées, ce sont les données structurées et les API qui nourriront directement les agents. Les schémas, certifications et informations vérifiables auront plus de poids que le design. L’autorité validée par les machines — c’est-à-dire la fréquence à laquelle une marque est citée ou utilisée par les modèles d’IA — deviendra un indicateur de confiance. Et les partenariats ou intégrations API remplaceront progressivement le référencement classique pour assurer la visibilité.
Cela ne veut pas dire que les sites disparaîtront. Ils resteront utiles pour la conformité légale, les récits de marque ou les usages spécifiques où les utilisateurs veulent encore une interaction directe. Mais pour les usages courants, ils seront relégués à un rôle de coulisses.
Le design et l’expérience utilisateur perdront en importance face aux flux pilotés par les agents IA. En revanche, le contenu restera essentiel. Les agents ont besoin de données fiables : textes bien structurés, informations produit précises, prix transparents, disponibilité mise à jour, mais aussi contenus vidéo et avis vérifiés. Le contenu reste donc le carburant du système.
En somme, le SEO ne disparaît pas. Il évolue. L’optimisation technique continuera d’assurer que le contenu est lisible et exploitable par les machines. La création de contenu restera indispensable, à la fois pour nourrir les agents et pour les humains qui sortent de temps en temps de ces environnements fermés. En revanche, le design web et l’UX risquent de devenir des coûts optionnels à l’heure où l’interface agent prend la main sur l’expérience utilisateur.
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Le risque d’intermédiation des marques
Cette mutation comporte un danger : la perte du lien direct entre la marque et son client. Si c’est l’agent qui réserve un vol, commande une paire de chaussures ou prend rendez-vous chez le dentiste, la fidélité du consommateur risque de se reporter sur l’agent, et non sur l’entreprise qui fournit le service.
Ce phénomène a déjà été observé avec Amazon. Sa marketplace a transformé de nombreux vendeurs en simples vitrines anonymes sous la bannière Amazon. Les systèmes d’agents pourraient faire la même chose en réduisant les différences entre marques. Pour s’en protéger, les entreprises devront renforcer leurs signaux distinctifs : données produits claires, contenus uniques, preuves de confiance structurées. Sans cela, la relation appartiendra à l’agent, pas à elles.
Les ajustements stratégiques à prévoir
Les stratégies marketing devront évoluer. L’enjeu ne sera plus de polir une page d’accueil, mais de garantir que vos données sont exploitables, que votre marque est perçue comme fiable par les agents et que votre autorité est reconnue par les machines. Le SEO, tel qu’on le connaît, se transformera : il ne s’agira plus de se battre pour une place dans les résultats Google, mais pour être intégré et cité dans les réponses des agents.
Un autre effet de cette bascule concerne la mesure des performances. Pendant des décennies, les marketeurs ont vécu avec les statistiques classiques : pages vues, taux de rebond, conversions. Mais si un client ne visite jamais votre site et passe uniquement par un agent, vous pouvez encaisser la vente mais perdre les données de parcours. De nouveaux indicateurs devront apparaître : savoir si vos contenus ont été récupérés, cités ou jugés fiables par les agents IA. En clair, il faudra redéfinir ce que signifient « trafic » et « conversion » dans un monde où l’interface est une conversation.
Entre crainte et opportunité
La crainte est évidente. Mais l’opportunité est réelle. Les entreprises capables de s’adapter à cette nouvelle logique de découverte pourront prospérer. Le site web deviendra peut-être une simple tuyauterie, mais la tuyauterie reste essentielle. C’est elle qui transporte le flux et les informations.
La vraie question n’est donc pas de savoir si les sites web vont disparaître. Ils resteront, sous une forme ou une autre. La question est plutôt de savoir si les entreprises continueront à investir dans la façade, ou si elles mettront leurs moyens dans les canalisations que les agents utilisent déjà pour créer de la valeur.
Les sites web ne disparaîtront pas, mais leur rôle va changer. Ils deviendront surtout une infrastructure technique, tandis que les agents prendront la place des véritables portes d’entrée numériques.
** Cet article est adapté d’un contenu publié initialement sur Search Engine Journal : When Agents Replace Websites.